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Lecture de la dernière lettre de Guy Môquet

Aux larmes, citoyens !

Par Anne-Cécile Clément-Riard, professeur au lycée de Chevigny.

paru le dimanche 14 octobre 2007

Au lendemain de son élection, Nicolas Sarkozy rend hommage à des résistants et lors d’une cérémonie solennelle, fait lire la lettre de Guy Môquet par une jeune lycéenne de 17 ans. Sur les écrans de télévision apparaît alors le visage d’un président ému, bouleversé, au bord des larmes. Très rapidement, il souhaite que cette lettre soit lue à tous les lycéens de France chaque 22 octobre, jour anniversaire de la mort du jeune résistant.

Mais en tant qu’enseignants, qui devrons lire la lettre à nos élèves, se pose à nous la question du sens. Pourquoi lire cette lettre-là et pas une autre (il existe d’autres lettres de résistants) ? Comment la lire en classe ? Lors d’une cérémonie plus officielle dans la cour ? Quel est l’intérêt de la seule lecture de la lettre ? N’y aurait-il pas intérêt à replacer les choses dans leur contexte historique, auquel cas la lecture serait intégrée au cours et apparaîtrait comme une étude de document intégrée dans un programme qui existe déjà (mais, est-ce à Nicolas Sarkozy d’imposer les documents utilisés en classe ?). Pourquoi faire de la lecture de cette lettre un moment aussi solennel ? Qu’est-ce que nos élèves sont amenés à en tirer ?

Cette lettre, relativement courte, rédigée par un jeune homme de 17 ans et demi qui va mourir fusillé par les nazis avec ses camarades résistants est adressée à ses proches. Le courage du jeune homme et sa dignité, dans ces moments de terreur absolue, sont forcément poignants.

L’émotion et le pathétique dominent le texte : « Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé, je vais mourir ! (…) 17 ans et demi ! Ma vie a été courte ! (…) Maman, Serge, Papa, je vous embrasse de tout mon cœur d’enfant. Courage ! Votre Guy qui vous aime ».

Qui ne serait pas touché par un tel texte ? Nos élèves, bien évidemment et à juste titre, le seront. Mais dans quel but ? L’émotion passée, que garderont-ils de ce moment ? Quel sens lui donneront-ils ? Un exemple ? Un modèle ? S’agit-il d’un moyen de motiver les élèves, de leur donner courage et cœur à l’ouvrage ?

Hypothèse malheureusement plausible quand on sait que cette lettre a été lue dans les vestiaires du stade de France lors du match d’ouverture de la coupe du monde de rugby opposant la France et l’Argentine. Là encore, pourquoi ? Bernard Laporte, futur (?) secrétaire d’Etat au ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports cherchait-il bêtement et simplement à faire plaisir à son ami chef de l’Etat, ou comptait-il exalter l’héroïsme et le patriotisme d’une équipe de France portant si haut les couleurs tricolores qu’elle se serait préparée, à la lecture de la lettre, au combat à mort sur le gazon pour la victoire ?

Guy Môquet n’était pas un compétiteur, c’était un combattant, militant communiste, qui a payé son engagement pour la liberté et ses convictions politiques au prix fort. Celui de sa vie.

Il y a de l’indécence à lire sa lettre en des temps et des lieux qui ne ressemblent en rien à ceux de cette période si sombre de l’histoire.

Et si Monsieur Sarkozy souhaite « éveiller les consciences » de la jeunesse de France, qu’il sache que les enseignants ne l’ont pas attendu pour transmettre à leurs élèves l’exemple de nombreuses figures d’hommes et de femmes de courage et d’engagement, français ou non, qui ont payé de leur vie leur combat pour la liberté, l’égalité et la fraternité.

Les valeurs de révolution sociale et d’antifascisme que défendait Guy Môquet n’ont aucun rapport avec la politique de Monsieur Sarkozy et de son gouvernement : une politique d’exclusion et de traque des sans-papiers, de tests ADN pour le regroupement familial ; une politique écoeurante de destruction du système de santé et de l’ensemble des acquis sociaux ; une politique d’heures supplémentaires dans des conditions de travail qui se dégradent alors que le chômage n’en finit pas d’augmenter ; une politique de cadeaux fiscaux pour les plus riches et de mépris sournois vis-à-vis de l’ensemble des salariés et des classes les plus populaires à qui on ne propose que l’avenir sans fin du travail ; tandis qu’un certain, avec ce goût ostentatoire du luxe, préfère se donner en spectacle sur un yacht.

Guy Môquet a écrit sa dernière lettre dans une baraque où la promiscuité le disputait à la crasse. Monsieur Sarkozy, n’attendez pas de nous, enseignants, que nous apportions la moindre caution à une cérémonie qui ne peut que trahir sa mémoire !

Anne-Cécile Clément-Riard [1]

Notes

[1Anne-Cécile Clément-Riard est professeur de Lettres au lycée Jean-Marc-Boivin à Chevigny-Saint-Sauveur (Côte-d’Or).