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Pourquoi nous ne lirons pas la lettre de Guy Môquet

Par 7 professeurs d’histoire du lycée de Sens

paru le vendredi 19 octobre 2007

1. Parce que nous sommes professeurs d’histoire et que la lecture officielle de cette lettre à nos élèves ne peut en aucun cas servir l’histoire et son enseignement.

Cette lettre très émouvante ne contient aucun message politique ni historique. C’est une lettre à sa famille d’un adolescent qui va mourir. Il s’agit en la lisant de provoquer l’émotion, pas la réflexion. Activer l’émotion sans recul ni critique comporte le risque de gommer tout esprit critique. On nous invite à confondre histoire et émotion.

Professeurs d’histoire-géographie et d’éducation civique, nous devons nous appliquer à former les élèves à devenir des citoyens autonomes. L’émotion ne rend pas autonome, elle rend manipulable. Que la cause soit juste ne change rien. Une telle lecture dans de telles circonstances serait la négation de notre travail qui consiste justement à expliquer des documents et à les replacer dans une perspective historique. L’histoire est une démarche scientifique d’explication du passé. Elle ne saurait se confondre avec la commémoration.

2. Parce que cette lettre ne correspond pas à l’usage public que l’on souhaite en faire lors du 22 octobre.

Guy Môquet semble avoir été choisi par notre président comme le symbole de la Résistance. L’enseignement de l’histoire nécessite une distance critique vis à vis des faits et des documents et oblige alors à montrer que les choses ne sont pas aussi simples. Guy Môquet, en effet, fut arrêté en octobre 1940 par la police française pour diffusion de tracts communistes contre la guerre, et non pour actes de résistance. Il a été fusillé comme otage quand le Parti communiste est entré dans la lutte armée. La liste des otages a été fournie par les autorités françaises d’un régime de collaboration.

Cela n’empêche pas que Guy Môquet et ses camarades communistes fusillés avec lui aient fait preuve d’un esprit authentique de résistance et soient morts dans des conditions qui imposent le respect. En faire une icône de la Résistance des jeunes n’est donc pas tout à fait exact et nécessite, au moins, une explication très précise du contexte de l’époque. Ce n’est pas l’objectif de cette lecture publique qui cherche à confondre histoire et mémoire.

3. Parce que nous refusons l’instrumentalisation de l’histoire utilisée ici pour une opération politique, voire politicienne.

Après les débats de ces dernières années sur l’instrumentalisation de l’histoire par le pouvoir (en particulier le vote d’une loi nous obligeant à enseigner les aspects « positifs » de la colonisation française), comment ne pas s’interroger sur cette nouveauté que constitue l’intervention directe du pouvoir exécutif dans ce que nous devons dire à nos élèves et quand il faut le dire ?

De jour en jour l’opération prend une dimension politique et médiatique croissante. Les élus locaux, les députés se précipitent pour venir lire la lettre dans les lycées, notre lycée n’échappe à l’offensive. La presse les accompagne. Seul compte l’impact médiatique nécessaire à la communication présidentielle.

Marie-Pierre Belletier, Annick Bohec, Jacqueline Drogland, Joël Drogland, Didier Perrugot, Jacques Pioch, Stéphane Malmert,

professeurs d’histoire-géographie au lycée Catherine-et-Raymond-Janot de Sens