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Ce dossier se veut un outil permettant de fournir aux collègues qui ont décidé, de manière isolée ou collective, de refuser de rentrer dans la démarche de validation des compétences du LPC, des éléments d’information et des arguments de nature à étayer leur position, à comprendre les véritables enjeux de ce qui se cache derrière ce dispositif, et à mener le débat avec tous les partenaires d’une école qui doit rester celle de la République, émancipatrice de l’individu et du peuple souverain, et non devenir celle du patronat, qui réduit, selon un modèle venu du monde anglo-saxon, le "capital humain" à son "employabilité".

Flash back, pour mieux comprendre comment s’est mis en place -ou non - le LPC

A la re« ntrée 2009, le LPC, utilisé à l’école primaire depuis 2008, est généralisé à tous les collèges. Les collègues sont "priés" de se l’approprier, d’abord aux niveaux Quatrième et Troisième. Il doit devenir obligatoire, à la rentrée 2010, pour l’obtention du DNB.
Les réactions sont diverses. Les uns commencent à se répartir les items à valider, sans interroger le dispositif lui-même, les autres s’inquiètent d’une perte de sens des apprentissages. Beaucoup ont du mal à se repérer, dans des documents de référence denses et confus. À la CA académique de novembre 2009, la question est posée : "Comment mettre de l’intelligence là-dedans ?"
Fin novembre-début décembre deux stages de formation syndicale sont organisés à Paris, l’un sur « l’Évaluation par compétences », l’autre sur le « Nouveau brevet, nouveau collège ? ». »

Bernard Rey , spécialiste reconnu de l’évaluation par compétences, intervient dans l’un d’eux. Il nous apprend que "les compétences générales - les plus intéressantes, celles dont tout le monde rêve - ça ne marche pas. On ne peut pas les faire acquérir, ce n’est pas la peine de s’exciter là-dessus... J’en ai fait mon deuil".

Il distingue en outre trois types de compétences spécifiques :

- les connaissances que l’on sait faire acquérir. Cela peut poser des difficultés relationnelles, mais il n’y a pas de difficultés cognitives particulières.
- les procédures de base. Il est parfois difficile d’obtenir que les adolescents se les approprient, mais beaucoup y arrivent : ça marche.
- les compétences avec mobilisation, les plus porteuses d’enjeux pédagogiques.
Et Bernard Rey d’ajouter : identifier ces compétences avec mobilisation n’est pas bien compliqué, il suffit de repérer tous les énoncés qui contiennent des mots et expressions tel(le)s que "à bon escient", "d’une manière qui convient" etc ...

On y voit déjà plus clair.

Romuald Normand lui, est spécialisé dans l’analyse comparée des politiques d’éducation à l’échelle internationale. Il nous montre que "la question du socle commun n’est pas une question franco-française. Elle a émergé très tôt aux USA et est devenue ensuite un référentiel international (porté par l’OCDE et la Communauté Européenne). Derrière le socle commun il y a une logique à l’œuvre, un nouveau cadre des politiques d’éducation, qu’il nous faut cerner.
Le Nouveau Management Public (NPM) se décline dans le domaine de l’éducation en rubriques telles que conseil pédagogique, contrat d’objectifs, expérimentation d’axes de progrès, audits. Déja à l’œuvre dans d’autres domaines (comme la Santé), il induit une transformation en profondeur de la fonction publique. L’exemple anglais est à cet égard édifiant.

Pour Denis Paget enfin (que l’on ne présente plus), le constat est sans appel : "Le reproche majeur que je ferais au socle commun est qu’il donne l’illusion de traiter la question de la culture scolaire, mais qu’il esquive toutes (l)es (vraies) questions . Il n’a donc aucune chance d’améliorer la situation des élèves". Il annonce bien au contraire un collège encore plus anxiogène.

Ces analyses sont convaincantes. Pourtant, jusqu’à la fin de l’année scolaire, et même au-delà, le Snes demeurera très isolé dans ses prises de position contre le LPC.

A la rentrée 2010, les choses s’accélèrent. La validation de toutes les compétences du LPC devient obligatoire pour l’obtention du DNB, sesssion 2011. Le Snes conseille aux collègues de ne pas renseigner le LPC avant le 3ème trimestre, et demande un moratoire sur le sujet.
Par lettre ouverte datée du 25 mai 2011, il demande solennellement au Ministre de suspendre l’entrée en vigueur du LPC.

C’est dans la plus grande confusion que se déroule cette première session de validation obligatoire du LPC pour l’obtention du DNB. Le Snes collecte des remontées venues de toutes les académies et met en ligne un florilège des dysfonctionnements observés. Apparemment en pure perte.

Insensiblement, néanmoins, la situation évolue. Le 10 juin 2011, le Snes 44 recevoie sur sa messagerie un Communiqué de presse de la FCPE 44 qui fait l’effet d’une petite bombe. Sous le titre "Appel à ne pas signer le LPC", elle prend en effet clairement position contre le dispositif, avec des arguments qui méritent d’être entendus, et développés :

 "Certaines compétences à valider sont surpenantes : capacité à être un bon citoyen ou a être sage en classe. Quand on sait que ce livret, débuté en primaire, accompagne l’élève pendant ses années de collège, il y a de quoi frémir sur l’utilisation qui peut en être faite au détriment de certains élèves qui n’ont pas été assez disciplinés au regard d’un enseignant"
 "Les familles doivent être informées préalablement qu’elles peuvent refuser ce fichage de leur enfant, sinon ce fichage serait entaché d’illégalité".
 De même les enseignants devraient être informés maintenant par leur hiérarchie qu’ils pourrraient être poursuivis ultérieurement au civil ou au pénal par les familles, ou les futurs anciens élèves, pour avoir renseigné une base informatique susceptible de violer les droits, ou de causer un préjudice".

Dans la foulée, les délégués au 65ème congrès national de la FCPE, qui se tient à Nancy les 11, 12 et 13 juin, adoptent une motion "Non au LPC" . C’est désormais cette puissante fédération qui "exige le retrait du LPC" et "soutient toutes les actions engagées en ce sens par les élèves, les parents d’élèves et les équipes pédagogiques".

Deuxième "ouverture", à la rentrée 2011 : le 2 septembre le philosophe et historien Marcel Gauchet co-signe avec Philippe Meirieu, dans le Monde de l’Éducation, un article retentissant intitulé : "Contre l’idéologie de la compétence, l’éducation doit apprendre à penser".

La critique est sévère :

 P. M. : "De même qu’aucun métier ne se réduit à la somme des compétences nécessaires pour l’exercer, aucun savoir ne se réduit à la somme des compétences nécessaires pour le maîtriser... Or, nous nous éloignons aujourd’hui à grands pas de cela avec des livrets de compétences qui juxtaposent des compétences aussi différentes que "savoir faire preuve de créativité" et "savoir attacher une pièce jointe à un courriel".
Ces référentiels atomisent la notion même de culture et font perdre de vue la formation à la capacité de penser".

 M.G. : "L’une des évolutions actuelles les plus inquiétantes réside dans l’installation au poste de commandement d’une vision purement économique du problème, élaborée et développée à l’échelle internationale.... Très discutables, je le précise, y compris du point de vue de l’emploi et de l’efficacité économique. Qui peut prendre au sérieux le livret de compétences introduit au collège dans le but de mieux évaluer les acquis des élèves ?"

En cette rentrée 2011, la FSU 44, dont le champ de syndicalisation dépasse largement le monde de l’éducation, décide de produire un document "grand public".
Il sera publié dans Pour 44 sous le titre : "Livret des compétences , socle commun : Derrière le miroir des concepts, une imposture pédagogique et sociale".
Extraits : "En quelques années le livret scolaire est devenu une énorme source de renseignements. Le nom donné à ce dispositif (LPC) est trompeur : ce n’est pas un livret mais un fichier, plus exactement un « traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Livret Personnel de Compétences ». Nominatif au niveau académique et obligatoire pour le brevet, il n’est pas "personnel" puisqu’il appartient à l’État et aux sociétés privées qui le gèrent. Ni le consentement des enfants, ni celui des parents n’a été demandé. Or un traitement de données est extrêmement puissant. Il permet toutes les extractions et tous les croisements de données. Il peut être alimenté, lu ou exploité différemment selon les utilisateurs. Il peut être interconnecté avec d’autres traitements de données.

À terme, toutes les données concernant les acquis et les compétences, mais aussi les potentialités et les engagements de l’ensemble de la population française seront ainsi consignées dans ce « super CV numérique », qui retracera, entre autres éléments, tout le parcours du jeune. Le mode d’évaluation des compétences que l’État met en place se fonde sur un recueil de données personnelles, numérisées et centralisées, c’est-à-dire sur un fichage des usagers. Aucun éducateur, aucune association digne de ce nom ne peut en accepter le principe même. Derrière l’idée a priori généreuse de la validation et de la reconnaissance d’acquis tout au long de la vie, autre chose se joue, avec des risques non maîtrisés de fichages citoyens et salariés".

Dans le même temps, des voix s’élèvent, dans d’autres enceintes, pour dénoncer ces risques de fichage des enfants et des jeunes. C’est le cas du Conseil Régional des Pays de la Loire dont les groupes de la majorité régionale (comprendre : les élus de gauche) répercutent en séance plénière le 24 novembre 2011 les inquiétudes exprimées par le comité des droits de l’enfant de l’ONU relatives à "la multiplication des bases de données dans lesquelles des données concernant les enfants sont collectées, stockées et utilisées pendant de longues périodes". Sont explicitement visés la Base élèves 1er degré (BE1D), la base nationale des identifiants élèves (BNIE) rebaptisée RNIE (répertoire national des identifiants élèves) et le LPC. Pour ce dernier, en particulier, le CR demande au Ministère de renoncer "à la conservation numérique des parcours scolaires".

Ces préoccupations sont reprises, en cette fin d’année 2011, à d’autres niveaux, comme en témoigne la délibération du conseil municipal de Rezé du 16 décembre 2011.

En conclusion

Contrairement aux souhaits du Ministère, la question est loin d’être "pliée", comme en témoigne le mail ci-dessous, reçu d’un S1 du Sud Loire :
"Après plusieurs heures syndicales sur la question du socle et du livret, et deux votes sur la question, la très nette majorité des enseignants de notre collège ont décidé de refuser de renseigner les compétences du socle et du livret.
Ce n’est pas un refus d’enseigner en compétences, le problème est bien celui du renseignement du socle et du livret et de celui de l’école du socle. Parmi les enseignants qui ont pris cette décision, plusieurs organisent d’ailleurs leurs cours autour de certaines compétences du socle qu’ils trouvent intéressantes dans leur matière mais ils refusent cependant de rentrer dans le renseignement de tout cela et dans la logique de l’école du socle.
D’autres collèges ont-ils fait la même chose ? Si on pouvait obtenir cela dans de nombreux collèges, cela deviendrait très intéressant."

Ce mail pose deux bonnes questions :

refuser de renseigner le LPC sans rejeter pour autant, sans nuance, le concept de "compétences",
comment populariser les situations (et les modalités) de refus par les collègues et les collèges ?

Ce dossier n’a d’autre ambition que d’alimenter la réflexion, prolongée par l’action.

1 - LIVRET DE COMPÉTENCES, SOCLE COMMUN : DERRIÈRE LE MIROIR DES CONCEPTS, UNE IMPOSTURE PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
Ce texte reprend, complété et actualisé, un article publié dans le numéro de décembre de POUR 44 (la revue de la FSU de Loire Atlantique).

2 - COMPÉTENCES ET ÉVALUATION DE COMPÉTENCES : PROBLÈMES ET PISTES DE SOLUTIONS
Intervention de BERNARD REY au Stage de formation syndicale « Évaluation par compétences », organisé par le SNES à Paris les 2 et 3 décembre 2009

3 - L’ÉVALUATION DES COMPÉTENCES : QUELS ENJEUX POUR LES POLITIQUES D’ÉDUCATION ?
Intervention de ROMUALD NORMAND au Stage de formation syndicale « Évaluation par compétences », organisé par le SNES à Paris les 2 et 3 décembre 2009

4 - COMMENT CONCEVOIR UN COLLÈGE PLUS JUSTE QUI CONCILIE MASSIFICATION ET QUALITÉ EN VISANT LE MEILLEUR POUR TOUS ?
Quelques pistes de solutions.
Intervention de DENIS PAGET au stage de formation syndicale « Nouveau brevet, nouveau collège ? » organisé par le SNES à Paris les 25 et 26 novembre 2009

5 - APPEL A NE PAS SIGNER LE LIVRET PERSONNEL DE COMPETENCES
Communiqué de presse de la FCPE de Loire Atlantique du 10 juin 2011

6 - NON AU LIVRET PERSONNEL DE COMPETENCES !
Motion du 65ème Congrès National de la FCPE, juin 2011.

7 - IL EST URGENT DE METTRE UN TERME AU GRAND BAZAR DE L’EVALUATION DE NOS ELEVES DANS LES COLLEGES
Lettre ouverte du SNES, du SNEP et du SNUEP au ministre de l’éducation nationale, le 25 mai 2011

8 - FLORILEGE SUR LE LPC

9 - CONTRE L’IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTENCE, L’ÉDUCATION DOIT APPRENDRE À PENSER
Entretien avec PHILIPPE MEIRIEU et MARCEL GAUCHET
Le Monde de l’Éducation, 2 septembre 2011

REFUS DU FICHAGE DES ENFANTS ET DES JEUNES IMPOSE PAR L’EDUCATION NATIONALE, notamment via le LPC
10 - VOEU DU CONSEIL REGIONAL DES PAYS DE LA LOIRE
11 - VOEU DU CONSEIL MUNICIPAL DE REZE (44)

12 - APPEL POUR REDONNER UN AVENIR AU COLLEGE
Conclusions du colloque organisé par le SNES, le SNEP, le SNUPDEN et la FSU les 5 et 6 avril 2011

Dossier réalisé par Yves Castel, co-secrétaire départemental du SNES 44