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Fin du redoublement : une posture idéologique !!

paru le dimanche 23 novembre 2014

Le ministère vient de rayer d’un trait de plume le redoublement à la rentrée 2015 sauf pour pallier une période importante de rupture des apprentissages scolaires avec l’accord des parents et en cas de refus de l’orientation proposée en fin de troisième et de seconde. Ainsi même en fin de troisième et de seconde, le redoublement ne pourra plus être proposé par le conseil de classe ni demandé par les parents. C’est assurément un changement important, car même si le redoublement a été fortement réduit depuis sur les quinze dernières années, il restait bien présent dans l’esprit des familles et apprendre que le conseil de classe proposait le passage dans la classe supérieur plutôt qu’un redoublement signifiait quelques choses pour les élèves comme leur famille. La preuve que l’on était "au niveau".

Au conseil supérieur du 3 juillet, lors de l’examen du projet de texte publié le 18 novembre, le SNES avait pris ses responsabilités puisqu’il avait votre contre ce projet.

Vote sur le projet de décret supprimant le redoublement au CSE du 3 juillet
POUR : SGEN-CFDT, UNSA, FCPE.....
CONTRE : SNES-FSU, FO, CGT, SUD ..

Le SNES-FSU avait appelé ensuite à la réflexion sur la question du redoublement (voir article).

Dire qu’il ne faut pas a priori supprimer le redoublement sans réflexion, c’est assurément risquer d’apparaître comme passéiste face aux "modernes" du front anti-redoublement. Une manière pour ces derniers de ne pas sortir de la caricature.

Pourtant il faut d’abord remarquer que la politique volontariste de l’administration qui a fait fortement baisser le redoublement, n’a pas franchement améliorer les résultats des élèves en fin de la scolarité obligatoire (PISA) ou en fin de CM1 (PIRLS). Mais cela a permis à la plupart des gouvernements de justifier des économies.

Ensuite on a vu depuis apparaître face aux discours convenus anti-redoublement des articles d’origines variées :
 le redoublement n’est pas interdit dans la plupart des pays. Il est pratiqué dans tous les pays européens sauf deux. Mais il existe souvent des procédures pour échapper au redoublement en prouvant par un examen ou par un rattrapage que l’on a comblé le retard ou les lacunes qui motivaient le redoublement. En Finlande, par exemple, les élèves peuvent redoubler s’ils ont échoué aux évaluations dans une ou plusieurs matières ou si leur progrès globaux sont insuffisants pour pouvoir réussir l’année suivant. C’est l’établissement qui décide et le seul recours possible pour la famille consiste à demander une nouvelle évaluation du niveau de l’élève. [1].

Redoublement en Europe
Seules la Norvège et l’Islande interdisent le redoublement (sauf cas particulier : progression automatique).


 les études produites sur le redoublement avant 2000 ont en général des biais méthodologiques qui rend peu fiable leurs conclusions d’après le CNESCO. [2]
 d’autres enquêtes plus récentes trouvent des avantages [3] [4].

Enfin la réflexion sur le redoublement est en cours, puisque le nouveau Conseil National d’Évaluation du système SCOlaire (CNESCO) a lancé une conférence de consensus dont le résultat sera diffusé de janvier à avril 2015. Après une phase d’exploration du thème qui a donné lieu à un premier bilan dont les conclusions sont assez septiques sur les alternatives au redoublement mises en place [5]. Actuellement, le CNESCO est en phase d’enquête et de constitution du jury.

Comment peut-on dans ce contexte comprendre que le ministère décide de la suppression du redoublement ?
 Objectif budgétaire ? (le redoublement coûterait 1,6 milliard d’euro)
 Posture idéologique ? (le blocage actuel sur l’Éducation Prioritaire tend à confirmer cette hypothèse.)
 Objectif de communication ? (le démenti de la suppression de septembre semble montrer que ce n’est pas évident)

Pour le SNES-FSU, décréter l’interdiction du redoublement, y compris lorsque les familles le demande, n’est pas un progrès pour le système éducatif. La bonne démarche c’est de travailler sur les moyens de ne pas arriver à la nécessité de proposer un redoublement. Lorsque des outils efficaces seront mis en place, il y aura évidement moins de redoublements. En attendant condamner des élèves à se retrouver en classe avec des élèves qui travaillent à un tout autre niveau sera dommageable en particulier pour les catégories sociales qui ont le plus de difficultés. Mais la Ministre botte en touche sur les conséquences en renvoyant la gestion du problème aux enseignants et en confondant au passage redoublement et décrochage scolaire [6] : "lorsqu’il s’agit de simple retard scolaire, d’une difficulté scolaire, nous mettrons le paquet pour que les équipes pédagogiques se responsabilisent, préviennent le décrochage, accompagnent l’élève y compris en lui donnant des cours renforcés, mais lui permettent de continuer sa scolarité et de progresser à son rythme" [7].

Notes

[2les premières recherches sur les effets du redoublement trouvaient des effets systématiquement négatifs à court et long terme du redoublement mais souffraient de plusieurs problèmes méthodologiques et de données parfois lacunaires ou difficilement comparables (rapport CNESCO 08/2014).

[3Par exemple : Dong (2010), les élèves faibles maintenus en fin de maternelle ont des résultats environ 14 % plus élevés en CP en mathématiques et en lecture que s’ils avaient été promus directement

[4Il y a par contre très peu d’études sur le second degré. Cependant, Gary-Bobo et al. (2013) concluent que si le redoublement peut avoir des effets positifs sur les résultats des élèves les plus faibles, cet effet est faible en magnitude.

[5"La France reste fidèle à la pratique traditionnelle du redoublement à la fois dans une visée de remédiation à la demande des enseignants, notamment du primaire, mais aussi dans le cadre d’objectifs stratégiques d’orientation scolaire à la demande des parents. Cette complexité du redoublement, les rôles multiples qu’il joue dans l’organisation scolaire, de façon latente souvent, bien au-delà de la remédiation affichée et de l’attachement des acteurs de la communauté éducative (enseignants, parents…) expliquent que, malgré les politiques de lutte contre cette pratique initiées dans les années 1980, la France se classe encore aujourd’hui dans le peloton de tête des pays de l’OCDE sur ce sujet.
Les faibles contraintes réglementaires, les procédures floues de décision quant aux critères de redoublement, la place essentielle laissée aux parents dans les décisions expliquent aussi la résistance de cette pratique.
Pour autant, cette pratique a fortement régressé ces dix dernières années sans que soit mise en place une organisation scolaire permettant d’offrir aux équipes pédagogiques comme aux parents et aux élèves des alternatives crédibles." (CNESCO 2014)

[6un élève en difficulté va parfois ne jamais décrocher mais seulement être relégué très loin de ce qu’il aurait pu faire.

[7AFP, septembre 2014