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Discontinuité pédagogique

paru le dimanche 5 avril 2020 , par Olivier Provost

Le sinistre Blanquer l’avait déclaré : « Nous sommes prêts pour la continuité pédagogique ». Rien n’est plus faux, tant la mise en œuvre d’un enseignement massif à distance est laborieuse, sur les plans de la technologie, du matériel et de l’humain.

…pour les enseignants : suite à la décision de fermer les établissements, les débuts ont été chaotiques. Les ENT étaient saturés, les consignes données étaient contradictoires, certains collègues ou chefs d’établissement ont pensé révolutionner le métier par la mise en place de cours sur diverses plates-formes ou applications, vite dépassées ou tout simplement contraires à la réglementation sur la protection des données.
Après 3 semaines de confinement, ces injonctions semblent dépassées. Tout le monde (sauf Sibeth N’Diaye, toujours aux fraises) semble d’accord sur un point : les enseignants travaillent et font ce qu’ils peuvent avec les moyens du bord, pour transmettre des cours à distance. Comme d’habitude, ils le font sur leurs deniers propres, y passent un temps important qui empiète sur leur vie privée. Rien que nous ne découvrons, bien que Blanquer fasse semblant de le découvrir. Un mot aux collègues : sachons couper de temps en temps, pour ne pas être sans cesse sollicités, sachons prendre notre temps pour réfléchir aux enjeux et rester modestes dans ce qu’on peut attendre de nos élèves.
Le plus important est d’ailleurs sûrement moins la continuité pédagogique que le fait de garder un lien avec les élèves et leurs familles. Le ministre en a d’ailleurs convenu lors de sa conférence de presse du vendredi 3 avril : « L’enseignement à distance ne peut pas remplacer l’enseignement en présentiel. » Une citation précieuse à l’heure où certains libéraux voient peut-être dans les nouvelles technologies le moyen d’économiser toujours plus de postes d’enseignants.

…pour les élèves : déboussolés, les élèves semblent partagés entre une certaine joie d’échapper à l’école et un stress important du fait du confinement. Parmi les 3èmes, 1ères et Terminales, beaucoup angoissaient pour leur examen. Les voilà un peu rassurés, même si des questions demeurent quant à l’obtention des examens (voir par ailleurs). Il faudra aussi être « assidu » pendant le confinement et après pour obtenir son examen. Mais comment mesurer l’assiduité à distance ?
Les élèves plus en difficulté et ceux issus de classes sociales défavorisées sont les plus désavantagés par cette prétendue « continuité pédagogique ». Fracture numérique, fracture sociale : ils décrochent et s’éloignent encore plus de l’école, ou ne sont pas en mesure de faire régulièrement les travaux demandés, faute d’ordinateur, d’imprimante, d’un accès à Internet. L’envoi de cours photocopiés par La Poste n’est pas une mauvaise idée, mais la mise en place est laborieuse et encore une fois, cela ne remplacera pas la présence de l’enseignant.
Le ministre de l’Education parle de 5 à 8% d’élèves dont on serait sans nouvelles. Le chiffre semble sous-estimé, et par endroits, c’est 20 à 30% des élèves après qui courent les enseignants : pas facile, à distance…

…pour les parents : en chômage partiel ou en télétravail, les parents se retrouvent contraints de faire travailler leur(s) enfant(s) durant plusieurs heures, à la maison. C’est la course à l’ordinateur, la ruée vers le scanner et l’imprimante. Panne d’internet, cartouche d’encre épuisée, disputes entre parents et enfants ou entre enfants au sujet du travail, cette continuité pédagogique est source de tensions et met à rude épreuve les équilibres familiaux, déjà bouleversés par la situation sanitaire et le confinement.
Si beaucoup de parents se rendent compte de l’investissement et du travail fourni par les enseignants, d’autres réclament, à juste titre, un allègement du travail demandé : d’un établissement à l’autre, d’une classe à l’autre, la charge de travail est très différente et certaines familles ont croulé sous le travail, surtout les premières semaines. Les injonctions du Rectorat préconisant l’évaluation formative devraient permettre une régulation de ce qu’on peut attendre avec un enseignement à distance.

En définitive, on l’a bien vu, ce confinement montre l’importance des services publics en général, et pour l’Ecole, son rôle essentiel (bien qu’imparfait) dans la réduction des inégalités sociales. Quand l’Ecole n’est plus là « physiquement », les inégalités se creusent !

Mais cette crise amène aussi à une réflexion sur l’avenir de notre métier. Avec cette « continuité pédagogique » à distance expérimentée sur plusieurs semaines, c’est le grand saut numérique que certains voudraient faire faire à l’Ecole de la République. Tous ces sites généreusement gratuits pendant le confinement tentent de capter des clients pour l’avenir, et ouvrir leur marché. Ne soyons pas dupes et continuons d’affirmer que c’est par une politique ambitieuse, privilégiant l’humain (et donc en cessant de supprimer des postes !) que l’Ecole de la République pourra espérer retrouver pleinement son rôle d’émancipation et de réduction des inégalités sociales.