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Compte rendu de stage

"Le Paget" à Auxerre, ça active les méninges !

L’essentiel du stage "Système éducatif et Loi d’orientation" animé par Denis Paget à Auxerre le 25 novembre

paru le jeudi 25 novembre 2004

Plus de 50 collègues ont participé au stage « Système éducatif - Loi d’orientation » animé par Denis Paget, le 25 novembre à Auxerre.

Ancien co-secrétaire général du SNES-FSU, un des principaux négociateurs pour le SNES de la loi d’orientation de 1989, membre du Conseil supérieur de l’éducation, prof de lettres, « le » Paget a une carte de visite impressionnante... non démentie par sa prestation.

Vous trouverez ci-dessous une sélection de ses interventions. Nous vous renvoyons à L’US pour les analyses du rapport Thélot et de la loi d’orientation.


Etat des lieux du système éducatif : ses performances et ses difficultés

Le système éducatif a très fortement évolué dans la dernière période, en parallèle avec l’évolution de la société française.
Il y a malgré tout un décalage entre la forme actuelle de l’école et la réalité de la société (par exemple l’école éprouve des difficultés à faire face aux problèmes économiques, sociaux, affectifs, ..., rencontrés par de nombreux jeunes).

La conscience de ce décalage est générale et il importe de trouver un point d’équilibre : adapter l’école à la société sans pour autant la caler complètement sur la société. Il faut, pour ce faire, éviter les 2 tentations simplistes :
 tout rejeter sur la société,
 ou demander à l’école de résoudre tout ce que la société ne sait pas faire.


1. Performances de l’école en termes quantitatifs

Proportion de bacheliers dans la population active
 1975 : 13% de la population active
 1990 : 22%
 1999 : 30%
 2004 : 32%

Un des problèmes de la France du milieu des années 1970 a été le déficit de main-d’œuvre qualifiée ; le pays a mal digéré l’évolution des besoins en salariés qualifiés dans les services et les technologies ce qui a conduit à un déclin économique et industriel.

A la fin des années 80, on réalise enfin qu’on court à la catastrophe et qu’il faut augmenter le nombre de diplômés.

La stratégie des entreprises pour faire face à ce déficit a été différente selon leur taille. Les petites entreprises ont favorisé la promotion interne (valorisation de l’expérience professionnelle), tandis que les plus grandes se sont débarrassées des anciens salariés, pas ou peu qualifiés, et ont embauché des jeunes, plus qualifiés, mais sur des emplois précaires.

Il y a actuellement, sur le marché du travail, une population qui a augmenté son niveau de qualification mais qui est loin de pouvoir satisfaire aux besoins de l’économie.

Proportion d’élèves arrivant en classe terminale (générale, technologique ou professionnelle)
 1980 : 35%
 2001 : 69%

Ce dernier chiffre produit en fait 61% de bacheliers « réels », ce qui est loin de l’objectif des 80% de la loi de 1989.

Il s’agit, en 20 ans, d’une augmentation spectaculaire, mais le pourcentage stagne depuis 2001.

Les sorties sans qualification
 1965 : 35% d’une classe d’âge sortaient sans qualification
 1985 : 15%
 2004 : 8%.

C’est une chute massive des sorties sans qualification, ce qui correspond à un exploit spectaculaire à mettre au crédit du système éducatif.

Remarque : il faut distinguer les sorties sans qualification, dues à un abandon dans un cycle de formation, des sorties sans diplôme. Sur 800000 élèves d’une classe d’âge, il y a actuellement 150 000 sorties sans diplôme (= élèves ayant suivi un cycle mais qui ont échoué à l’examen final : ils ne sont pas sans qualification) et 60 000 sorties sans qualification (élèves n’ayant atteint que le niveau 6 ou le 5 bis : aucun diplôme à la fin de la scolarité obligatoire pour des jeunes dépourvus de toute formation).


2. Performances de l’école en termes qualitatifs

Selon le dispositif « PISA » :
 La France se situe au niveau moyen des pays développés, elle est parmi les meilleurs en math et les moins bons en anglais (anglais et non langues vivantes !)
 Le pourcentage de sorties sans qualification est très inférieur en France à celui des autres pays de l’OCDE
 Il y a eu un tassement des progrès pour les meilleurs élèves et une situation plus favorable pour la « queue du peloton ».

Le pourcentage de jeunes de plus de 22 ans n’ayant pas atteint le niveau de base est de :
 16% en France,
 23% dans le reste de l’union européenne

En Allemagne, la situation est catastrophique, avec un système très sélectif dès la fin de l’école primaire et une organisation où le poids des landers est très important. Il a d’ailleurs été décidé de réduire ce poids... au moment même où, en France, on envisage une plus grande décentralisation !

Il a été constaté plus généralement que les pays les moins sélectifs sont ceux où les résultats sont les meilleurs : plus la sélection est tôt, moins le système est performant.

Faudrait le dire à Fillon...

Etude de la DEP (direction des études et de la prospective au MEN)

Une enquête de 2003 évalue les compétences générales des élèves en fin de collège :
 25% des élèves ont un bon ou un excellent niveau de maîtrise des compétences générales attendues en fin de collège,
 15 % n’ont aucune maîtrise de ces compétences
 et 2 % sont en très grande difficulté (ils ne maîtrisent aucune des compétences évaluées).

Globalement, 60% des élèves ont une maîtrise des compétences suffisante pour continuer leurs études.

A la fin de l’école primaire, ce sont en gros les mêmes résultats :
 15% des élèves sont en grande difficulté
 3% en très grande difficulté.

Cela prouve que les problèmes se translatent de l’école vers le collège : les problèmes commencent au début du primaire, et non au niveau du collège comme certains le disent trop souvent.

Les études faites par le ministre Ferry

Elles avaient accentué artificiellement le désastre du système éducatif car Ferry proposait aux élèves actuels des épreuves... du certificat d’étude des années 20 !!

Or, aussi bien à l’échelle d’un individu qu’à l’échelle de la société, il est difficile de penser le système scolaire au regard du passé :
 les élèves d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’il y a 20 ou 30 ans ;
 depuis 1997, tous les élèves sont scolarisés effectivement jusqu’en classe de troisième alors qu’il y a 30 ans la moitié des élèves partait en fin de 5ème ;
 les exigences de notre société ne sont pas celles d’il y a 40 ans ;
 les emplois de très faible qualification sont en forte baisse depuis de nombreuses années et ne vont pas augmenter dans l’avenir ;
 on ne peut plus se permettre de sorties sans qualification.

En conclusion :

Le problème pour le système éducatif est simple :
 Comment poursuivre la hausse du niveau de formation et éviter des sorties qui conduisent les jeunes vers des situations de chômage assuré ?
 Autrement dit : comment qualifier les 15% de jeunes qui arrivent sans qualification en 3ème ?
 C’est un défi essentiel à relever, sinon, tôt ou tard, la société paiera ce renoncement.


3. Répartition des élèves et des besoins économiques

Pas assez de lycéens dans la voie générale pour alimenter l’enseignement supérieur

Les séries des bacs professionnel et technologique continuent à progresser (+ 7% depuis 1995) alors que celles du bac général chutent (- 10%). Conséquence directe : si, jusqu’en 1997, l’université a connu une phase d’expansion, actuellement, le nombre d’étudiants baisse de façon catastrophique.

Entre 1995 et 2001, il y a eu :
 + 7% des élèves de bac professionnel à l’université, mais
 - 5% d’élèves de bac technologique et
 - 10 % d’élèves venant de bac général.

Les DEUG ont perdu 20% de leurs étudiants !

Dans le second cycle universitaire, la baisse est moins accentuée (seulement 5%..) car les UIP ont compensé en partie la baisse du nombre de bacheliers. Mais, aussi, l’université française a accueilli un grand nombre d’étudiants étrangers (ils comptent pour 29 % des étudiants en 3ème cycle). Le dilemme est simple pour la France qui manque de diplômés :
 soit elle pille les intelligences venues du Tiers Monde,
 soit elle joue la carte du développement de la formation à l’interne ; mais, alors, dans ce dernier cas, il faut promouvoir l’accès au diplôme.

C’est loin d’être le cas actuellement : certaines filières s’effondrent ; par exemple, moins 46% d’étudiants en DEUG de physique et moins 12 % en math. Idem dans les filières médicales.

En revanche, les effectifs ont doublé en STAPS et les filières courtes sont en progression (elles ont bénéficié de la « fuite » des bacheliers des filières DEUG).

Les besoins de l’économie

Des études prospectives ont cherché l’impact de la réforme des retraites sur l’emploi au cours de la période 2002 - 2015.

Si la croissance est de 2 %, il y aura un décalage entre les structures éducatives et les besoins de l’économie : l’école produira des employés du tertiaire dont l’économie n’aura pas besoin mais ne produira pas les ingénieurs et les cadres administratifs qui manqueront aux entreprises et aux fonctions publiques.

Quel que soit le scénario, on ne produit pas assez de bacheliers généraux, industriels et tertiaires.

Et même dans le scénario le plus pessimiste, celui où la croissance serait la plus faible et donc les besoins en qualifications moindres, il faudrait au moins 66 % de bacheliers (83% quand on se place dans l’hypothèse d’une croissance plus forte, aux alentours de 3,5%). Or, cet objectif est loin d’être atteint puisqu’on en est seulement à 61 % actuellement.


4. Quelle place pour le jeune ?

L’école a aussi pour objectif de former des personnes épanouies, libres, cultivées, capables d’être des citoyens éclairés, de futurs parents, ...

Or, l’école actuelle forme des personnes mais n’est pas sensible aux personnes et ce, pour plusieurs raisons.

 L’école est d’abord confrontée à un problème de références culturelles : la France est une société d’immigration et elle doit composer avec des cultures qui ne sont pas la culture d’origine de son patrimoine. Comment accueillir la diversité culturelle qui arrive dans nos établissements scolaires quand on voit le peu d’espace laissé dans les programmes aux cultures « différentes » ?

 En même temps, les idéaux de la République sont peu affirmés. Or, si la norme scolaire doit s’imposer, elle doit aussi s’expliciter.

 Autre difficulté : se méfier de la posture intellectuelle qui voudrait transmettre à toute une classe d’âge les exigences qui s’adressaient jadis à la seule élite. Il importe au contraire de repenser les exigences en les plaçant dans le moment présent.

 Il faut aussi mieux mesurer les écarts entre la culture scolaire et la culture des individus, comme par exemple la culture télévisuelle et la culture des medias en général. Les enseignants sont en concurrence avec les medias et leurs discours souvent démagogiques et simplistes. Les élèves ont du mal à entendre ce profond décalage entre le discours scolaire et les raccourcis des médias.

 L’école forme un monde commun mais qui reste bien souvent largement virtuel. Quelle culture commune doit-elle construire ? Comment peut-elle produire de l’égalité quand elle est, à ce point, inscrite dans des territoires aussi inégaux ?

 L’école se doit de réfléchir sur le « tri social » dont elle est parfois le témoin (quand il lui arrive imposé de l’extérieur) mais aussi, souvent l’acteur (le système scolaire lui-même engendre plus d’inégalité que d’égalité et crée des ghettos, des établissements où enseigner devient très difficile).

 L’école doit créer un lien entre les individus et pour cela, il ne suffit pas de créer un monde scolaire commun mais un monde commun. Cela suppose de réfléchir sur tous les éléments qui peuvent créer de la communauté, aussi bien dans les comportements que dans les savoirs.


5. Tenir compte de la dynamique propre à chaque établissement

Longtemps le monde éducatif a vécu sur l’idée que le système scolaire reposait sur des règles qui s’imposent à tous et dont l’Etat délègue l’exercice aux enseignants. Ces règles imposaient des normes éducatives qui ne se discutaient pas.

L’idée que chaque établissement scolaire ait une identité, des problèmes qui lui sont propres, a émergé à la fin des années 1980, après que plusieurs études aurent montré qu’un établissement peut mieux fonctionner qu’un autre, qui a pourtant le même public scolaire.

Comme une personne, un établissement a une dynamique propre, qu’il est possible d’infléchir :
 soit par une stratégie hiérarchique : en renforçant le pouvoir des chefs d’établissement,
 soit par une stratégie du collectif : en renforçant le temps de rencontres, de débats, de travail collectif et en créant une collégialité, un consensus, des structures permettant l’implication et des choix éclairés pour tous.

La périodicité et le fonctionnement des réunions des conseils d’administration ne permettent pas de choisir et décider démocratiquement. Le SNES devrait réfléchir à par quoi le remplacer. Sûrement pas le « Conseil pédagogique » à la sauce Fillon, en tout cas !


6. Revoir la place des parents dans le système scolaire

Il faudrait, entre autres, impliquer et faire davantage de place aux parents, qui désertent de plus en plus les établissements, laissant ainsi la place au chef d’établissement. Le système français est celui où la place des parents est la plus réduite. Le dialogue parents-profs se fait en chiens de faïence...

C’est vrai que ce n’est pas facile de s’adresser à des parents : il faut expliquer, prendre des précautions pour tenir compte de l’affectif, interpréter les mots, les silences.

Sans doute faudrait-il changer notre regard sur les parents ? Se demander si c’est « normal » que les établissements soient fermés aux heures où les parents qui travaillent peuvent venir.

Fillon a bien compris le jeu d’hostilité qui s’est noué entre parents et profs et joue la carte de l’opposition entre parents et enseignants pour mettre les profs dans sa poche, par exemple en promettant des mesures pour renforcer notre autorité.

A nous de ne pas entrer dans ce cercle : nous n’avons rien à gagner, ni pour nous, ni pour les élèves, à considérer les parents comme ceux qui voudraient mettre un nez inquisiteur dans ce que nous faisons. Nos cours ne sentent pas si mauvais après tout et, qu’on soit parents ou profs (parfois les deux à la fois...), il est légitime d’avoir envie de respirer le même air que les enfants.