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Merci les copains !

Par Claude Bailly

paru le mardi 27 avril 2004

En l’an 66 de mon âge, ne du tout fol, ne du tout sage, il est un air très vieux qui souvent me vient à l’esprit : dis qu’as-tu fait de ta jeunesse et que fais-tu de ta « retraite » ?

Retraite ? D’abord je n’aime pas le mot. A des camarades (de la tendance FUO pour ceux qui aiment se charger de mémoire) qui réclamaient toujours le retrait de toute réforme, nous répondions toujours que nous n’étions pas partisans du « coïtus interruptus’ ». Ça m’est resté !

Je me souviens du temps que j’étais prof et syndicaliste et plein de choses encore. Je me souviens des bons et des mauvais moments. A une réforme décidée d’en haut succédait une autre réforme décidée en concertation ... avec le Médef de l’époque (ô Roger Fauroux !). Mais jamais de bilan, surtout pas ! Avancer, reculer, faire du sur-place ou faire du neuf ? So was the question ...

Je me souviens du temps où un élève sur 10 entrait en 6ème, où les enfants d’ouvriers allaient direct en apprentissage... ou à la mine ! C’était le bon temps ! Pour les autres !

Je me souviens de l’arrivée massive des élèves au collège puis au lycée, des moyens qui tardaient toujours et des sempiternels « le niveau baisse, ma chère ! » et des « il (ou elle) n’est pas doué » plus fréquent que « il (ou elle) est doué ». Quand je disais ineptie j’ai souvent rencontré incompréhension, scepticisme...

De cette grave question, nous avions fait une expo avec des copains du SNES, histoire de nous moquer de nous et des idées toutes faites (à la peau dure !) et de parier sur l’intelligence, c’est-à-dire sur l’Education (nationale, j’insiste). Car l’homme, n’est-ce pas, est un produit d’éducation. Il nous avait semblé que l’idéologie des dons avait reculé dans les esprits. Je n’en suis pas si sûr aujourd’hui.

Je me souviens de cette collègue qui professait qu’il y avait toujours quelque chose à valoriser dans une copie (ah ! les copies !) quand d’autres mettaient encore des notes négatives.

Je me souviens d’années de galère syndicale (pas le moindre morceau de vermisseau à mettre dans l’escarcelle revendicative) et puis aussi des luttes productives : la titularisation des auxiliaires (mais on s’empressait d’en recruter de nouveaux), de la reprise des recrutements (plus de postes aux concours), de la CPA, de la hors-classe en 89, des augmentations de salaires en 68 et autres grandes bouffées d’oxygène.

Je me souviens des grèves d’élèves et d’enseignants, de manifs, de pétitions, ...

Je me souviens d’avoir été exclu, (avec des dizaines de milliers d’autres), de la FEN pour crime d’exigences revendicatives.

Je me souviens d’avoir scandalisé des collègues (femmes en particulier) pour avoir osé comparer le salaire d’une prof débutante au prix (bien plus cher payée) d’une saillie de l’étalon Ourasi qui faisait alors des étincelles sur les hippodromes. Sexiste moi ? alors qu’il s’agissait de pourfendre (déjà !) un certain libéralisme ravageur.

Je me souviens du temps passé à militer et je ne regrette rien ! Et quand je vois monter chômage et précarité (particulièrement pour les jeunes), quand je vois le Président de la République dire que son premier ministre a été très mauvais et qu’il le reconduit, quand les services publics à la française, la Sécu et les retraites par répartition sont menacés de disparition... alors je me dis que ce n’est pas le moment de dételer.

Il ne manquerait plus que ça, que je n’aie plus de vision d’avenir ! Car pour le coup, je me sentirais vieux, très vieux !

C’est peut-être pour cela que les copains à la manif du 3 avril, se souvenant de moi, m’ont demandé « Dis, Claude, tu ne pourrais pas nous faire une banderole pour la manif du 7 ? ».

Merci les copains !

Claude Bailly,

inscrit au grand livre de la dette publique depuis le 30 mars 1997.