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Verbatim

Compte-rendu du stage Christian LAVAL

paru le jeudi 19 février 2004

Avertissement

Les comptes-rendus ne sont pas exhaustifs ; ils sont limités par la capacité du rédacteur à prendre rapidement des notes et parfois sujets à interprétation malencontreuse. En cas de problème, n’hésitez pas à écrire à philippe.dormagen@wanadoo.fr.

Il n’a pas été possible de noter précisément le nom de tous les intervenants. Nous les prions de bien vouloir nous en excuser. Il a donc été décidé de le gommer (sauf en ce qui concerne Christian Laval et le participant de la FCPE) et de ne montrer que par un tiret le changement d’intervenant. Cette relation n’a pas voulu donner une cohérence artificielle à la succession des interventions qui suivent donc la spontanéité de l’oral.

Stage Observatoire FSU - Dijon, 10 décembre 2003

L’école publique deviendra-t-elle une entreprise ?

avec Christian Laval, sur la base de son livre L’école n’est pas une entreprise. Le néo-libéralisme à l’assaut de l’enseignement public.

Joël Miachon : refus du centre Condorcet, au Creusot, d’accueillir la conférence de Christian Laval, la veille au soir, pour prétexte de la présence d’ATTAC parmi les organisateurs. Le stage est au cœur des débats actuels ; il se propose en particulier de monter combien la décentralisation est le moyen d’organiser un contrôle au plus près du terrain.

Christian Laval : l’hypothèse de départ est que l’on ne peut plus penser les changements de l’école uniquement d’un point de vue national. Avec l’Institut de recherche de la FSU, on est allé voir les écrits de l’OMC, l’OCDE, la Commission européenne, la Banque mondiale, qui sont quatre organisations internationales ayant une pensée scolaire. Des experts ont été audités ; on a étudié ce qui se passait dans d’autres pays ; la méthode suivie a été de construire un modèle (d’école néo-libérale) distinct des réalités effectives, qui permette d’évaluer le sens des réformes et le degré d’avancement vers ce modèle ; si ce modèle prévisible réussit à s’imposer, il y aura un vrai changement de forme de l’école.

Modèle de l’école néo-libérale

1. Une école au service de l’économie, exclusivement, c’est un élément du système productif ; les entreprises et les économies sont en concurrence et ont besoin d’atouts humains et intellectuels, de connaissances et de compétences pour améliorer leur compétitivité dans un monde de concurrence. La dimension de la nouvelle école est devenue utilitariste : il s’agit de former et gérer le "capital humain".

2. L’école doit imiter le marché ; le marché est le mode d’organisation universel ; l’éducation doit obéir à ce mode d’organisation prétendu le plus efficace. Le modèle de la demande remplace le modèle d’offre (bureaucratique). On met le système scolaire sous contrainte pour répondre à la demande des consommateurs (parents, élèves, entreprises).

3. L’aspect managérial : le modèle libéral répondrait mieux aux besoins que la bureaucratie. Cela suppose un pouvoir fort et la possibilité de choix des collaborateurs pour répondre aux objectifs déterminés (contrats d’objectifs). Le manager doit être très détaché de l’identité de ses subordonnés ; il n’a qu’une responsabilité en termes de réussite.

Les chefs d’établissement (selon un rapport français à l’OCDE) sont devenus des chefs d’entreprise à but non lucratif. Lorsque l’administration française s’adresse aux Français, elle parle "républicain", mais dans les instances internationales, elle parle "néo-libéral" : cela rend son discours particulièrement flou.

Le problème du système de double valeur entre le chef et le subordonné, c’est qu’il est source de conflits et de dysfonctionnements. Les transformations actuelles ne sont pas pure application d’une idéologie.

Ce qui complique les choses, c’est que cette vision a du répondant dans le réel et rencontre des tendances objectives : elle peut sembler une solution à des contradictions existant dans l’école actuelle. Ceux qui la mettent en application sont nourris par des études critiques du système bureaucratique, par le constat des inégalités créées par le système scolaire malgré ses règles de l’universel.

Même si leurs objectifs sont démocratiques, avec une recherche de solutions à des problèmes réels (critique de la pédagogie actuelle, utilisation de travaux type Freinet, réponse à la demande d’autonomie des enseignants), leur solution aboutit à des systèmes de contrainte beaucoup plus forte que la bureaucratie actuelle. Ils ont une stratégie de l’éponge et ont toujours réponse à tout.

Ce modèle d’école correspond à des transformations économiques profondes importantes car les connaissances ont de plus en plus d’importance dans le système économique actuel (capitalisme cognitif). Les détenteurs du pouvoir économique en sont conscients ; leur objectif est de transformer la connaissance en opportunité commerciale pour construire l’économie « la plus compétitive du monde ».

En ce qui concerne la notion de formation tout au long de la vie, même si on peut partager l’idée, il faut faire très attention à ses perversions possibles car la troisième tendance objective est que l’éducation tend à changer de sens, à s’individualiser, à se privatiser. Le travail est devenu une marchandise dont une partie est la qualification et le diplôme. Le travailleur est invité à gérer lui-même, tout au long de sa vie, le « capital humain » qu’il représente car il doit veiller à demeurer employable. Sa mise à l’écart sera volontiers justifiée par ses efforts d’adaptation insuffisants.

Reste à définir des alternatives : sont-elles scolaires, pédagogiques, organisationnelles, une question de moyens ? Les alternatives de gauche font cruellement défaut ; comment réarticuler les questions d’école et les questions de société ? L’Institut de recherche de la FSU, à vrai dire, n’a pas encore trouvé de solutions.


Débat

 Comment les professeurs vont-ils être conditionnés et comment ; au service de qui sont les politiques ?

 On constate déjà une concurrence effrénée entre établissements. Mon chef d’établissement a réussi à faire sauter la section SES sous prétexte de risque de perdre des élèves.

 L’organisation du grand débat tente de minorer son utilité (sélection de 4 questions sur les 22)

 Problème sur le plan syndical : certains collègues ne voient pas de mal à l’augmentation du pouvoir du chef d’établissement.

 La stratégie néo-libérale ne touche-t-elle pas d’autres domaines ? Quels moyens pour s’en défendre ?

 Trouver des objectifs communs avec les syndicats étrangers est-il envisageable ?

 Il faut sortir d’une logique syndicale strictement éducative.

 Les modification de présentation du budget de l’état auront des conséquences.

 Nous subissons les effets de la culpabilisation à outrance des travailleurs, il va falloir réfléchir aux conditions de travail.

 Si on veut réussir au niveau syndical, il faut arriver à parler aux gens de manière simple, à répondre à leurs attentes.

 Il n’y a pas de soutien de leur hiérarchie aux chefs d’établissement, donc pas de pression ; il n’y a pas de contrôle des objectifs, certains chefs d’établissement réfractaires n’ont pas plus d’ennui que ceux qui se mettent la pression.

 Actuellement règne le désordre dans l’administration Ferry, on ne peut donc pas se faire une idée des évolutions en cours. L’OCDE dit bien que la France est en retard pour la mise en place de manager à la tête des écoles primaires, de l’université. Les outils managériaux n’ont pas eu les effets escomptés. L’explication peut être que la hiérarchie hésite entre l’autonomie à donner aux chefs d’établissement et le contrôle hiérarchique, la résistance des enseignants, des syndicats, d’un certain nombre de chefs d’établissement eux-mêmes.

 La formation des nouveaux chefs d’établissement, l’utilisation de nouveaux vocables (les syndicats devraient d’ailleurs être prudents dans l’utilisation de ce nouveau vocabulaire), pourra permettre l’évolution du système. Il faut résister aux nouveaux langage (logique de soumission, le dominé utilise le langage du dominant).

 Pour changer les profs, ce sera fait par la définition d’objectifs. En Belgique, il y a définition des tâches et des modalités d’exécution, d’abord par le chef d’établissement puis par l’équipe éducative ; l’enseignant définit ses objectifs et les moyens pour y arriver ; après négociation, ce contrat est signé par les parties et servira de référent pour l’évaluation ; cette organisation du travail est calquée sur le fonctionnement de l’entreprise marchande ; le salaire au mérite est lié à tout ça. Si le monde enseignant ne s’empare pas du monde de l’évaluation, d’autres s’en emparent.

 Le rendement social, c’est un faux problème ; les référentiels actuels sont déjà très pointus à suivre, peut-on encore individualiser les référentiels pour améliorer les résultats ?

 C’est leur objectif ; le problème est de savoir si tout ça est évaluable ; ce qui se passe est que l’on retire aux enseignants leur rôle d’évaluation.

 Quels résultats en Belgique ?

 Le cœur du métier (le désir d’enseigner, la transmission des valeurs culturelles) est négligé dans les évaluations, c’est ce qui peut faire notre arme de défense ; la logique substantielle est minorée ; la logique est purement procédurale et oublie l’essentiel ; les enseignants ont donc le moyen de résister ; l’inspection à l’ancienne ne fonctionne plus, mais que faut-il proposer d’autre ?

 Les projets d’établissement portent sur du périphérique et les chefs d’établissement s’en plaignent ; c’est une contradiction interne.

 Les chefs d’établisements se plaignent surtout de ne pas avoir assez de visibilité de ce qui se passe dans les cours pour que le projet d’établissement soit réellement pédagogique.


Que peut-on construire comme réponse syndicale ?

 Il y a récupération des expériences par l’institution ,sur l’aide aux élèves par exemple, et les collègues ne s’y investissent plus car une fois institutionnalisées elles ne présentent plus beaucoup d’intérêt ; on pourrait également voir comment la décentralisation s’articule autour de ce qui a été dit ce matin.

 Dans des débats récents, j’ai animé le thème L’école et l’entreprise (avec la présence principalement du SNUipp et de la CCI), au collège (ZEP) Epirey à Dijon. Je pense que l’on ne peut pas évacuer le problème de l’efficacité dans le domaine de la justice sociale ; ce ne doit pas être un repoussoir absolu. Notre école a fait de grandes choses, mais il faut s’interroger sur les résultats. Le renforcement de la hiérarchie, c’est beaucoup moins prescriptif que ce qui a été dit ce matin : le capitalisme ne portant pas de valeur en soi, la valeur rajoutée actuellement est celle de participation. Sur l’adhésion à un projet, on doit réfléchir sur le travail en équipe, sur ce qu’on pourrait faire collectivement.

 On doit effectivement parler de l’efficacité, mais l’institution a évité le débat sur les formes de management et je ne veux pas être infantilisé dans cette démarche.

 On a de plus en plus de pression à l’échelon local. N’y a-t-il pas ambiguïté à vouloir s’adapter à l’environnement local plutôt que d’essayer de changer ce qui existe ?

 Un rapport américain montre que les emplois sont créés dans des emplois sous-qualifiés. Les responsables politiques en ont tiré les conséquences : cursus différenciés, pôles d’excellence, collèges différenciés ; il faut réfléchir sur la totalité.

 L’Etat va rester dans les endroits les plus pauvres, comme en Espagne, en Angleterre, au Chili. Ailleurs, ce seront des écoles privées pour ceux qui peuvent payer. Il y aura donc aussi deux types de profs. Ce n’est pas uniquement un problème d’école mais un problème de société.

 FCPE : on se pose la question de faire avancer auprès des parents d’élèves le débat sur la marchandisation de l’école. Il y a une forte demande des parents sur le rôle de l’école au niveau du social et du placement en entreprise. "L’élève au centre de l’école" permet de faire passer à la pédagogie différenciée, donc aux filières, mauvaise réponse au problème.

 Une logique de ségrégation se développe actuellement en France ; il faut donc combattre l’idée de marchandisation en France. L’efficacité n’est pas obligatoirement calculable, surtout dans le domaine de l’action éducative. L’idéologie de l’efficacité est née aux Etats-Unis à partir de 1910, avec cette idée que les méthodes industrielles doivent s’appliquer aux activités éducatives : vers 1950, les Américains ont imposé à l’OCDE cette idéologie.

 Y a-t-il des recettes miracles pour être efficace ?

 Abondance de l’apparence et raréfaction du contenu. Dans une société de classes, l’efficacité sociale est différenciée suivant la classe à laquelle on appartient ; le système veut cacher l’accroissement des inégalités. Certains élèves sont beaucoup plus brillants qu’il y a vingt ans, d’autres n’ont qu’un niveau normal. Le discours actuel sur les inégalités est un moyen pour les politiques de faire passer leur projet de changement.

 La difficulté de faire prendre conscience aux élèves de l’utilité des savoirs ne se mesure pas.

 L’évaluation va surtout servir à tracasser les enseignants, car l’institution n’a jamais voulu connaître son efficacité. L’évaluation de Sixième, par exemple, ne sert qu’à montrer que les petits Français ont de bons résultats ; on ne veut pas voir réellement ce qui fâche.

 Il faudrait revenir sur la décentralisation : les citoyens aspirent à ce que les décisions soient prises plus près d’eux. Mais la déconcentration des mouvements des personnels a montré que les résultats étaient moins satisfaisants ; on va avoir du mal à se battre contre la globalisation des moyens. Les universités sont en train d’expérimenter la situation.

 Actuellement, les postes sont définis au niveau national, avec la fongibilité asymétrique. C’est le recteur qui va décider des postes (on peut puiser de l’argent dans la masse salariale, mais pas l’inverse).

 S’il faut construire des alternatives, on peut faire une critique globale, mais ensuite être concrets. Le choix des indicateurs dont ils vont se servir n’est pas sans importance.

 Leur logique est plus comptable que pédagogique ; partout où il y a décentralisation, il y a une recentralisation des évaluations et des normes. En France, il y une tendance à faire du chiffre, ne correspondant pas toujours à la représentation de la réalité.

Actuellement on va vers une autonomie de retrait des enseignants. Le management participatif essaye d’aller à l’encontre de ce retrait. Ce retrait étant effectivement contre-productif, il faudrait les réimpliquer en leur donnant du pouvoir sur la pédagogie, la définition des programmes, etc. Il faudrait recomposer les collectifs dans les établissements. Il y a une méfiance politique traditionnelle de l’autonomie des enseignants ; il y a beaucoup d’obstacles à lever pour que les enseignants soient jugés capables d’intervenir dans les politiques d’enseignement, et les syndicats ne se sont pas suffisamment impliqués dans cette démarche.

 Avant 1981, il était impossible de connaître le nombre de postes d’un établissement ; (suit l’histoire de la prise d’autonomie des établissements).

 Il faut retourner à loi organique des lois de finance : c’est une clé extrêmement importante, votée en 2001 à l’unanimité (sauf abstention du PC). La façon dont y est organisé le budget de l’Etat est fondamentalement modifiée.

On ne votera plus des emplois, mais des lignes de crédits déclinés en missions, programmes, actions… On en arrive à la globalisation des budgets. Cet outil était nécessaire pour mettre en œuvre la décentralisation.

La mise en place de nouveaux préfets de région leur donnera une place prééminente, avec, sous leurs ordres, huit services dont l’équipement, le développement, l’agriculture, l’emploi et la formation, la culture… La question est donc de savoir ce que vont devenir les services actuels et leur articulation avec le Conseil régional.

L’étape suivante concerne les bassins de formation, avec mutualisation des moyens matériels et humains ; le statut des fonctionnaires sera morcelé par petits bouts.

Pour mémoire

Objectif efficacité : faire un parallèle avec l’ANPE (l’efficience). La vision économique de production avec très forte valeur ajoutée dans les pays développés peut être contrebalancée par les besoins de services aux personnes nécessaire dans ces pays. Modification du statut du personnel ANPE dans la logique du mérite, mais l’Etat n’a pas osé aller jusqu’à casser la grille salariale.

Fédération Syndicale Unitaire